Jean-Pierre Melville... chaque fois qu'on me parle de grand cinema français, c'est le premier nom qui me vient à l'esprit, peut être car il est le point indiscutable de tout cinéphile devant le cinema français. Et aussi, car à la manière de Stanley Kubrick ou Joseph Losey, il est un des cinéastes les plus reconnaissable entre mille... un film de Melville, c'est une oeuvre géométrique, carré, maîtrisé de bout en bout, précise et rigoureuse. Mais si tout le monde connait Stanley, peu cite Jean-Pierre Melville... étrange, car ils sont tous les deux des moteurs du cinema de genre, un cinema rigide et froid en apparence, mais généreux et riche en substance.
Le samourai de Jean-Pierre Melville : la force des parti pris
Pffff... si seulement c'était facile de parler de Melville... alors direct le Samourai, un des plus grand chef d'oeuvre du cinema français, un des polars les plus maîtrisé, minimaliste et dense à la fois... par où commencer.
Melville est un fan du mythe américain et il embrasse totalement le cinema de genre et ses références, à savoir ici le film noir, le polar ténébreux porté par un Alain Delon absolument remarquable. Le film est beau et il possède cette structure quasi géométrique qui fait le charme de Melville et se retrouve en particulier chez les Wachowski. Tout est épuré, le script ne contient que l'essentiel, et pourtant le plus important y est, à savoir la force de conviction d'un auteur qui multiplie les parti pris esthétique et sait parfaitement où il va.
Melville aimait à faire du cinema populaire, mais en refusant toute compromission sur ses intentions d'auteur... car oui, Jean-Pierre est un auteur, un de ces cinéastes au caractère fort qui porte le film, le contrôle et sait tirer le meilleur de ceux qui viennent participer à ces oeuvres. Le film est un fourre-tout de référence, mais sans aucun clin d'oeil, lorgnant vers Ford, Kurosawa et un sens du style et de l'épure qui évoque Ford, plaçant les personnages et leur mystère au centre du récit.
Alors que dire du Samourai... c'est un film puissant, un film mystérieux, une oeuvre si marquante qu'elle inspirera John Woo dans tout son début de carrière avec surtout The Killer. C'est un film que je regarde chaque année avec la surprise de ne jamais me lasser... c'est froid et clinique certes, mais cette épure rend parfaitement hommage à la culture de l'estampe qui a beaucoup marqué Melville. Là où Carné est le cinéaste du cinéma comme un rêve, Melville est un auteur quasi réaliste qui cherche à faire exister ses personnages dans un cadre réaliste pour les rendre encore plus iconique et mémorable.
Bref, le samourai, c'est vraiment génial.
L'armée des ombres : le silence et la fureur
Et que voulez-vous que je dise sur celui-ci... serieux, je vais devooir reprendre encore les mêmes compliments, me recevoir les mêmes reproches mode Altair sur mon vocabulaire restreint... peut-être, mais comme Melville, je l'assume totalement. Allez, quand faut y aller...
Melville est un ancien résistant, il a connu l'importance du silence alors qu'il opérait sur une France occupée par l'armée Nazi et il ne s'est jamais montré particulièrement bavard sur sa propre existence. Ce film est le plus dense, le plus personnel, celui qui m'a causé le plus de frissons par son réalisme froid et cru, un film qui s'impose comme incontournable sur cette époque avec le Corbeau de Clouzot... quoi, j'ai pas parlé de Clouzot... ok, je note, Clouzot... on y vient, on y vient, mais aprés Marcel Carné et Jacques Tourneur.
Melville poursuit sa recherche de l'épure, mais il va d'abord s'entourer d'un des castings les plus incroyables qui soit : Lino Ventura, Simone Signoret, Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel... ok, donc niveau interprétation, pas de soucis, c'est du très très lourd. Mais encore une fois, rien n'est laissé au hasard, afin de faire ressentir et exister ce monde sans espoir particulier à Melville, un univers où les silences disent bien plus que les paroles. Melville a digéré le cinéma muet et il sait que l'image, le design sonore, et les respirations sont les éléments de tension du cinema et les utilisent à merveille. Le but n'est pas élitiste, juste d'être cohérent avec un parti esthétique simple : rien n'est romancé, rien n'est enrobé, tout est sec, osseux, et réduit à une élégance simple et quasi universel.
Alors, je dois reconnaitre qu'il est difficile de juger un tel film monstre, car tout est si personnel et la patte de Melville si présente qu'on sait que le moindre élément de mise en scène, le moindre choix a été voulu par son auteur. Au final, on reste pantois devant la densité d'une telle oeuvre, le sentiment d'être écrasé par un monument du septième art que je n'ai que rarement ressenti, jouant au niveau de Metropolis, Apocalypse Now, Rouge ou Il était une fois en Amérique.
Leone et Melville, deux cinéastes qui se ressemblent bien plus qu'il n'y parait au final.
Leon Morin prêtre : le silence de Dieu et les idéaux politiques
Bon, on reprend les classiques du style Melville : un casting en béton (Riva, Belmondo), un style épuré et maîtrisé, une gestion des silences toujours impeccable, une photographie soignée. Et encore une fois, un film incontournable qui pose Melville comme une figure de proue de la Nouvelle Vague, mouvement du cinéma français qui cherche à casser les codes et à se rapprocher d'un cinéma américain où le style du cinéaste est plus marqué (et en même temps, à Hollywood, il y a Hitchcock, Hawks, Cukor et Kubrick... ça va comme source d'influence).
J'ai choisit ce film pour sortir du cadre du polar, du film de genre comme l'excellent Doulos, et parler de la capacité remarquable de Melville à travailler le cadre pour faire ressentir les pulsions et passions de ses personnages. Une utilisation du cadre familière au fan d'Hitchcock, mais jusqu'ici peu implanté en France où seul Duvivier délaisse le style "théatre filmé" hérité de Jean Feuillade (oui, je sais, Vigo aussi, mais il est mort trop jeune, un seul film ne suffit pas). Il est donc question de politique, de foi, de la guerre et des connséquences de celle-ci sur des personnages qui se font petit à petit submerger par leurs propres émotions.
Un film fort qui sonne juste, un film moins austère qui laisse un peu mieux paraitre le regard de Melville sur les êtres humains, cynique sans être nihiliste comme Kubrick, mais conscient de leurs propres failles et de leur impossibilité à atteindre la rédeption comme chez Leone... bon, ben, prochain post chez Sergio Leone... je prends un harmonica, un Klaus Kinski avec une boîte à musique et je me prépare... mais d'abord, je vais rajouter un hors sujet sur Baby Driver... et oui, je fais ce que je veux.