Le cinema de grand papa

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chevrere
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Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 26 août 2019 11:58

Bon, allez, pourquoi pas en parler ici.
Je me fais en ce moment des cycles de vieilleries : vieux films et vieilles series.
Bref, rien de passionnant, mais l'occasion d'évoquer des films pellicules libre de droit (ou presque), parfois en super 8, sans entacher le forum des coup de coeur et de gueule.

Et ce matin, j'ai découvert Sherlock Jr de Buster Keaton.
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Et c'était inégal, mais globalement très plaisant. Keaton sait créer du visuel et utilise le cinema comme un moyen de créer de l'imprevu, du spectaculaire sans jamais perdre la maîtrise du récit. Le film fourmille d'idées et sa séquence onirique où il passe par l'écran pour rentrer dans le film inspirera Chuck Jones et Michael Maltese pour un Daffy mémorable où le canard se fait torturer par un cinéaste plutôt cruel.
Mais Keaton n'oublie pas la poésie, avec des regards face caméra génial dans la séquence où il utilise le film pour séduire sa belle. Sherlock Jr est un film avec des problèmes de rythme dans son démarrage, mais les idées de mise en scène brillantes y pullulent et on finit le film heureux de voir une telle inventivité.
Comme toujours chez Keaton, les cascades sont incroyables.
Bref, si vous n'avez pas peur des muets, il est sur youtube en version restauré, pas de raison de bouder son plaisir.

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 26 août 2019 13:40

Petit rajout au commentaire précédent : le lien dailymotion pour voir le chef d'oeuvre Duck Amuck de Chuck Jones et Michael Maltese dont je parlais précédemment, deux génies du cinema d'animation de l'âge d'or de la Warner.
https://www.dailymotion.com/video/xqh0jh

Et là, je me rends compte que je n'ai pas parlé de Franck Tashlin... et je veux parler de Frank Tashlin, Fred Avery, Bob Mc Kimson et Isiadore Freleng...
Les années 30-40 de la Warner, il y aurait tant à dire...

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 27 août 2019 14:50

Bon, aujourd'hui, j'ai repris deux fillms de Chaplin qui marque pleinement les deux facettes du cineaste. Et je vais diverger sur un troisième film.

Chaplin et la destinée : La ruée vers l'or

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Enfant pauvre devenu une célébrité via ses courts métrages de la fin des années 10, Chaplin a toujours voulu évoquer les coups de chance, surtout une fois avoir conçu la United Artist avec DW Griffith... Mais j'ai des choses à dire sur Griffith aussi.
Bref, Chaplin incarne le rêve américain, celui du Tramp devenu millionnaire, de celui que la destinée privilégie et met sous les feux de la rampe.
Cinéaste sincère, bien qu'un peu naif, Chaplin offre ici un film sur le rêve américain et joue avec le hasard en construisant la comédie sur des mécanismes élaborés. La ruée vers l'or n'est pas son meilleur film, mais Chaplin y offre la quintessence de son cinéma en jouant avec la frontière qui sépare la grâce touchante et le ridicule pathétique.
Parler de choses universelles a toujours été le point fort de Chaplin.

Chaplin et la morale : The Cure

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Si on a souvent une image positive du personnage de Charlie, Chaplin a souvent eu une face plus sombre, plus cruelle dans tous ses films, révélant son addiction au péché : ici, l'alcoolisme. Mais Charlie n'est pas encore dans l'enfer du procés de mauvaise morale qui va s'abattre sur lui, la destinée autrefois chaleureuse se vengeant en exposant ses faiblesses sur la place publique.
Mais ici, Charlie joue un alcoolique venu en cure de desintox qui va transformer ce lieu pur et impeccable en un lieu de débauche et de chaos. Un court métrage trouvable sur Youtube, brillant et jouissif, un exercice de style très maîtrisé et hilarant où Chaplin peut jouer parfaitement sur sa propre villenie pour révéler l'hypocrisie de la haute société. Brillant.

Chaplin et le besoin du réel : Shoulder Arms

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Surement marqué par le succès de ses films auprés des poilus, Chaplin fait un film un peu bizarre, à la fois réaliste dans son traitement de la guerre et parodique dans un deuxième acte volontairement délirant. Un film pour Chaplin de montrer qu'il n'a pas perdu contact avec le réel, qu'il sait d'où vient son succès, comme pour renvoyer aux spectateurs une image positive dans ses choix de films. Evidemment, tout le monde pense au dictateur, mais je n'en suis pas encore là...

Pour le détail, mon Chaplin préféré est le cirque, seul à lier les trois pans de son cinéma...

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 28 août 2019 16:08

Et si je soliloquais sur le premier film d'animation de plus d'une heure de l'histoire.
Pour ceux qui ne connaisse pas, Les Aventures du Jeune Prince Ahmed :

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Beaucoup crient au chef d'oeuvre, mais je n'irais pas jusque là. Ca reste quand même avec Safety Last et Intolerance une des oeuvres principales de ce début des années 20. Le style est une pure merveille, avec un travail sur les silhouettes qui a clairement marqué Michel Ocelot, ainsi qu'un style orientale très marqué et fascinant. Lotte Reininger maitrise les ombres et la lumière, ne laissant comme regret que l'impossibilité de profiter de ce film dans une version haute résolution.
Mais les défauts existent et l'intrigue parait un peu daté dans sa gestion des résolutions... enfin, je chipote, le film date de 1926 et comme Safety Last dont je parlerais bientôt, il n'a pas pris autant de rides que les films désincarnés de Meliès.
Bref, une curiosité à voir et à mettre en parallèle avec Princes et Princesses d'Ocelot. Par contre, ce film n'est pas disponible sur youtube, donc le trouver n'est pas facile sauf en VO (Deutsch ist zu einfach).

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 29 août 2019 13:14

Bon, allez Harold, c'est à ton tour avec le film qui est la matrice de la comédie Hollywoodienne Safety Last

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Ce film n'est pas un chef d'oeuvre du cinema, c'est un cas d'école sur la forme idéale du film de divertissement. Du coup, le scénario est simpliste et repose sur sa star Harold Loyd, jeune homme parti faire fortune à la ville et qui ment à sa petite amie en lui cachant ses difficultés à trouver le succès. C'est à la fois un buddy movie, une comédie romantique avec une mécanique du théâtre de boulevard et un film à grand spectacle reposant sur l'ascension d'un tour que le héros doit accomplir pour atteindre son objectif.

Et tout y est... et ça tient. Des films des années 20, c'est peut-être le plus moderne et le plus facile à regarder pour qui n'est pas habitué au muet. Plutôt que le massif et foisonnant Metropolis ou les oeuvres excessives (et discutables) de Griffith, ce petit film d'Harold Lloyd est le moyen de voir toute la modernité du cinema muet. C'est drôle, bien rythmé, très inventif et d'une grande élégance.

Bref, un film qui mérite le terme de classique, non pas par sa force évocatrice et sa volonté presque mégalomaniaque de faire l'oeuvre ultime (oui, je regarde Metropolis, pour la huitième fois... mais là, ça va me prendre beaucoup plus que huit lignes), mais car il a montré la voie du cinema de divertissement léger et élégant, l'un des premiers fell good movie qui soit.

Safetty Last, le divertissement à l'état pur.

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 30 août 2019 08:09

Bon, assez plaisanté, tous ses avis positifs, c'est gentil, mais là, on va rentrer dans le dur et parler de DW Griffith en trois films.
Griffith, c'est le cinéaste américain dont certains demandent que les films soient détruits et qu'il soit effacé de l'histoire du cinema.
Ces "chevaliers blancs de la tolérance" méritent bien qu'on se penche sur ce cinéaste américain aussi révéré que detesté.

Griffith et le mélodrame : Broken Blossoms

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Et boum, du whitewashing. Sortez les fourches... A mort Griffith, à mort...

Sauf que non, encore une fois, il faut replacer dans son contexte, non pour excuser, mais pour comprendre.
D'abord, je ne suis pas fan de Broken Blossoms : le premier acte est trop long, le personnage de Lillian Gish est une martyre de mélodrame, malmené par un père boxeur violent et raciste qui va s'opposer à son amourette avec un jeune chinois adepte de Confucius.
Et oui, le racisme a toujours sa place chez Griffith car ce qu'il aime plus que tout, c'est le déchainement des passions chez des personnages en apparence introvertis. Griffith aime voir les timides, les faibles prendre la parole ou les armes sous le coup d'une passion frénétique qui va les consumer.
Pour le souligner, Griffith va jouer sur les valeurs de cadres, les filtres et les ouvertures de diaph (son péché mignon). Il crée une grammaire visuel que tous vont reprendre, devenant la référence pour des cinéastes comme Chaplin et Dreyer.
Et puis, voire cette jeune femme enfermée, alors que son père brise la porte à coup de hache pour venir la chercher... ça a du bien te traumatiser, hein Stanley.
Et oui, regarder Griffith, c'est voir la référence majeure du travail de Kubrick, et rien que ça.

Griffith et le racisme : Naissance d'une nation


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Et voilà, on y est... celui qui pose problème et pas qu'un peu. Allez, on contextualise.
Griffith est le fils d'un soldat sudiste, élévé selon une certaine nostalgie d'un Sud des Etats-Unis plus fantasmé que réel. De plus, bien plus que la réalité, Griffith aime la passion, le chaos, la frénésie et la lutte du faible contre la destinée.
Alors, il a pris le parti du KKK, et c'est une grosse connerie... Ouais, David, là t'as merdé... et il va le payer toute la fin de sa carrière en ne retrouvant jamais l'aura qu'il avait à son époque.
Alors, le film, est-il si pourri ? Non, c'est bien là le problème. La première moitié est impeccable, dynamique et prenante, en particulier dans l'effort de reconstitution de la guerre de secession. La réalisation est inventive, le montage est ingénieux et donne la base de la grammaire moderne du cinema.
La seconde moitié maintient le niveau pour la réalisation... mais pour l'intrigue, c'est la cata avec du révisionnisme à tout va en embrassant la paranoia des gens du Sud face à la libération des esclaves noirs et la haine de Washington.
Bref, Griffith, c'est un cas à part, celui d'un cinéaste qui ne fait jamais dans la demi-mesure et refuse de filmer une scène sans formuler une intention derrière. Griffith est le père du langage cinematographique, mais un père assez con et raciste. On ne choisit pas son père.

Griffith et le cinema de genre : Intolérance

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Bon, Griffith s'est pris des seaux de merde mérités sur la gueule avec Naissance d'une nation et choisit de faire un film somme sur la tolérance dans l'histoire, un méga mélodrame passant de Babylone au Christ jusqu'à l'histoire d'une femme victime d'un groupe de femmes essayant de moraliser la société.
Et c'est un sacré film, avec des scènes Babyloniennes incroyables, un projet fou qui témoigne de l'ambition sans limite de Griffith et sa confiance dans la capacité des films à raconter toutes les histoires de l'humanité. Un grand film passionnant, réalisé avec talent qui pose la base du cinéma hollywoodien et de son ambition.
Un film à voir... hormis pour sa fin totalement raté et son discours assez mal pensé sur la tolérance qui manque de recul.

Car l'absence de recul est le défaut principal de Griffith qui aura tourné à un rythme frénétique, sans jamais prendre le temps de réfléchir aux conséquences de ses propres fillms. C'est un grand cinéaste qui mérite de rester car il témoigne de la nécessité d'envisager la question de la responsabilité de l'artiste face à son oeuvre... mais l'oublier serait presque criminel.

Et en plus, en voyant la chute de Babylon dans Intolerance, Thea Von Harbou va avoir l'idée d'une histoire très ambitieuse qui évoquera le mythe Babylonien lui aussi. Mais j'en parlerais après.

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 11 avr. 2020 19:41

Allez, je vais le faire, je dois le faire, cela fait treize fois que j'écrit ce truc, la dernière fois que j'en ai autant bavé, c'est pour le troisième décalogue de Kieslowski. Bon sang, ce film est la clé de voute du cinéma moderne, un film aussi prolétaire que marqué par la montée du national socialisme. Le plus grand film qui soit, c'est Metropolis.

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Par quoi on commence. Ce film est fou, ce film est brillant, ce film est totalement morcelé par un remontage affreux, ce film est la parfaite exemple de la nature collective du cinéma. On y parle de l'utilisation des idoles, de l'homme comme une machine, de l'humanité qui s'exprime via les idéaux, de l'asservissement des classes populaires au profit de la bourgeoisie. Metropolis ne vieillit pas dans son propos, là où Marx a subit les ravages du temps et de la grande crise des idéologies du vingtième siècle.

Metropolis, c'est le film avant cela, l'utopie folle de l'oeuvre d'art qui génère autour d'elle l'adhésion du public, l'adhésion à un idéal universel autour de la construction d'une société. Vous n'aimez pas être confiné, vous vous emmerdez, regardez Metropolis (en version longue restaurée) et vous allez ressentir cette sensation bizarre de classicisme et de modernité car, malgré les cent ans de décalage, le film vous parle encore. Il est la marque d'un temps où l'idéologie croit en son pouvoir de sauver la société de l'ombre d'une lutte des classes qui fera des empires occidentaux une nouvelle Babylone.

Il y aurait des centaines de choses à dire sur Metropolis, sur sa création, mais je me limiterais à une chose : jamais un film n'a su aussi bien incarner le fantasme du cinéma, cet art populaire qui se voyait mener la foule à prendre conscience de la réalité sociale de son époque. Lang y croit et l'énergie qu'il donne à l'ensemble en fait un film absolument remarquable. C'est le film avant la désillusion, qu'incarnera à merveille le film direct de Griffith et de la fin des illusions sur le pouvoir du cinema : Stanley Kubrick.

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 24 juil. 2020 05:51

Allez, il faut continuer... marrant en tout cas de revoir Intolerance de Griffith en parallèle avec le mouvement BLM des Etats-Unis... non pas pour en dire du mal, juste qu'il faut se méfier des moralisateurs et de ceux qui manipulent via les #. Bon, et si on parlait d'un film quasi parfait (voire même parfait pour certains). Et oui, il est temps d'évoquer 12 hommes en colère de Sydney Lumet.

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N'en déplaise aux zététiciens (parfois eux aussi tristement moralisateur... la barrière est fine entre la pédagogie et la manipulation), le film de Lumet est un parfait exemple d'une mise en lumière de la nature d'un débat d'idées. 12 Angry men raconte la discussion de douze jurés autour d'une histoire d'homicide qui devrait amener le coupable à la chaise électrique. Les jurés débattent, discutent, s'opposent et mettent en évidence leurs biais cognitives tout en révélant l'importance du vote à l'unanimité.

C'est un huit-clos très théatral en trois actes que propose Lumet, un film référence du cinéma américain et un premier pas dans la porte du nouvel Hollywood, Lumet incarnant très bien ce cinéma plus politique, réaliste et minimaliste. Le rythme du film est incroyable, les acteurs sont tous impeccables et surtout le film est le premier qui montre l'importance pour un auteur du parti pris.

Ici, le parti pris principal de mise en scène est de limiter le procés au seul visage de l'accusé, nous renvoyant au visage de Jeanne d'Arc dans le film de Dreyer en le privant de la parole. On ne sait donc rien sur lui et cette ignorance va permettre de révéler les parti pris de chaque personnage : les biais de confirmation et de raisonnement sont ainsi révélés grâce à l'absence du procés. Faut-il en conclure que les avocats savent utiliser ces biais de perception pour manipuler...on passe.

Alors, pourquoi le film est parfait ? Non pas car il s'agit de mon film préféré, non, navré. Je parlerais bientôt d'un de mes films préférés et il est loin d'être parfait... Juste que l'editing, la cinematographie, la direction des acteurs, la photographie, tout est impeccable. Lumet est excellent pour diriger les comédiens, il est le choix idéal pour ce film politique qui joue avec les cadres pour éviter le piège du théâtre filmé et oser des mouvements de caméra compliqués malgré l'exiguité de l'endroit. Welles et Hitchcock sont passés par là, avec cette alternance entre les plans serrés, les plans américains, les inserts. Ici, la valeur de cadre a un sens, comme cette scène silencieuse incroyable où le racisme d'un des jurés est mis en évidence : un plan fixe, glacial, un cadre fermé qui vient écraser l'un des douze membres : un plan incroyable.

Pour moi, 12 Angry Men marque la fin da la nature expérimentale du langage au cinéma : Griffith, Ford, Lubitsch, Hawks et Hitchcock ont posé les bases de la langue, le cinema devient un art avec ses propres codes. Lumet a assimilé toutes ces expérimentations et a fait un film qui dépasse le cadre simple du "film théatre" à la Méliès ou Feuillade pour devenir un obbjet cinématographique à part entière, poursuivant plus tars avec le formidable "Un après-midi de chien" son voyage dans la destinée d'êtres piégés dans la spirale de la colère.

Il y a du Griffith, du Kazan, du Hitchcock chez Lumet. 12 Angry Men est l'étincelle d'où va jaillir le nouvel Hollywood. Un must see clairement.

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Re: Le cinema de grand papa

Message par Koss » 29 juil. 2020 10:46

Et le remake avec Tony Danzan par Friedkin, tu aimes bien ?

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 30 juil. 2020 11:54

Bonjour,
Je ne l'ai pas vu. Je note et je t'en reparles.
Mais d'abord, je vais parler de la fureur de vivre et ça ne va pas bien se passer...

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 30 juil. 2020 13:13

Je viens de regarder la fiche technique du remake de Friedkin (très grand cinéaste) et je vois dans le casting Jack Lemmon et Georges C. Scott.
Que tu ne me cites que la star de "Who's the Boss" ne me rassure pas... on est sur un site de série, mais quand même...

Mais je m'égare, aujourd'hui je voulais manger du bubblegum ou pourrir le mythe américain des années cinquante... et j'ai pas de bubblegum.
Le mythe americain est un élément indissociable du cinema, il s'est construit sur le septième art. Hélas, comme la mythologie américaine qui subit un grand revers, ces films sont-ils aussi merveilleux avec le passage des années ?

J'ai choisi trois films pour parler du mythe américain, dont deux où je vais transgresser ma règle de ne parler que des vieux films. Mais, si vous excusez cette disgression, j'ai juste choisi les films préférés américains des spectateurs sur Allocine et Imdb avant de m'attaquer à James Dean.

La quête de liberté et The Shawshank Redemption de Frank Darabont :

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Non, n'attendez pas une critique complète et patati patata... j'ai vu le film à sa sortie dans une salle vide et, malgré les années, mon avis n'a pas changé : ce film est l'incarnation de l'importance de la production value. Ce n'est pas Darabont qui fait la différence, ou le casting... non, c'est juste que le film fait tout bien, avec beaucoup d'application. Le mythe américain au cinema, c'est cette capacité à maîtriser totalement la dimension technique d'un film, de proposer des séquences cultes, une belle musique, des acteurs impliqués, une photo élégante... rien n'est génial, mais tout est parfaitement executé.

Pourtant, si les gens aiment les films de prisonniers, il y a La Grande evasion de Renoir, ses acteurs remarquables (Fresnay, Gabin, Von Stroheim, quand même)... mais l'image est granuleuse, la prise de son assez moyenne et le génie de Renoir ne suffit pas à masquer quelques lacunes techniques.
Le mythe américain, c'est l'idée qu'un film peut être aussi bon sur la forme et le fond. Au final, très bon le film est inférieur au Renoir, mais il reste par son aspect soigné et propre ainsi que son thème universel..

La quête du bonheur et Forrest Gump de Robert Zemeckis :

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Quel drôle de personnage ce Zermeckis... un cinéaste qui aura toujours cherché dans ses films les exploits techniques et prouvé toute sa carrière (en bien ou en mal) que le traitement d'une histoire est le plus important dans un récit. Ce film aurait pu et du être une catastrophe, mais Zemeckis a la bonne idée de traiter son récit sous l'angle de l'humilité et de l'humour, désarmant les critiques via un appel futé à notre propre quête du bonheur.

Ici, le mythe américain se construit sur l'universel et l'idée de depasser le cadre des possibles, que ce soit dans la mise en scène ou dans la surenchère d'un récit qui en fait des tonnes. Le mythe américain a besoin d'être extrême, mais aussi de la raconter avec assez legereté pour maintenir la suspension de la crédulité. Au final, le film est une bulle de divertissement, un instant de légereté dans une amérique inquiète face à la peur de la grande recession.

L'idôle par delà la mort : La fureur de vivre de Nicholas Ray

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Si les deux films gagnaient par un traitement plutôt humble, ce n'est pas le cas ici. On reforme le duo d'A l'Est d'Eden de Kazan, on prend un cinéaste passionné par l'âge de l'adolescence et on n'en fait pas grand chose. Ohhhhhhh, ce n'est pas un navet, certains scènes comme la course de voiture et la scène d'ouverture au commissariat sont mythiques et le mérite. Nicholas Ray fait du bon boulot et ce petit basculement de la camera en fin de film est une vraie merveille.

Mais voilà, le film n'a pas la tonalité universelle des deux autres ... il essaie en vain de parler d'amour, mais les jolis yeux de Nathalie Wood ne suffisent pas. Dean n'est pas très bon par rapport à Giant et son "You tears me apart" ne m'a pas convaincu ... un film qui a trop vieillit, qui échoue dans la progression de ses personnages et n'aboutit pas à grand chose. Oui, Dean est mort avant la sortie du film... cela ne suffit pas. On ne peut pas tout aimer... le mythe américain ne se construit pas sur des idôles mais sur des idéaux au final.

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 30 juil. 2020 16:49

Je remets la fin ici, navré...j'ai mis trop de temps à le poster.

Donc La Fureur de Vivre est un exemple parfait du film qui fait tout bien : un superbe cinemascope, une gestion du son remarquable, mais oublie l'essentiel, à savoir un but à atteindre. Dans les Evadés, facile, la lumière au bout du tunnel, idéologie très chrétienne de la redemption à la fin de la route et un public heureux et soulagé de voir la justice divine supplanté celle des hommes.

Dans Forrest Gump, même remarque, c'est clairement le personnage qui a su résisté à la tentation et au pêché qui obtient le bonheur, donnant à Tom Hanks une aura christique qui rejoint les evadés.

Dans la Fureur de vivre, pas de quête de redemption, juste le parcours un rien pathétique d'une fille et d'un fils à papa qui n'ont aucune raison forte de se plaindre (aucune raison montrée à l'écran, je le signale). Dean veut que son père se masculinise, Wood veut... à faire dire, je ne sais pas ce qu'elle veut... son personnage fait pièce rapporté et n'a pas d'arc personnel vraiment clair. Elle en veut à son père car il se montre distant avec elle et voudrait qu'elle cesse les mauvaises fréquentations.

Pas de thème universel dans ce film, juste le fait divers de la mort de Dean qui vient écho à une scène remarquable de course en voiture... rien d'universel, juste des gamins paumés qui finissent paumés... et un sous texte homosexuel intéressant, mais à moitié assumé. Dean est une icône certes, mais le temps a fait un sacré ravage sur ce film là où le film de Kazan a su garder sa force. Cette fureur de vivre, on ne la voit pas à l'écran, malgré quelques audaces indéniables de ise en scène. Dommage.

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 31 juil. 2020 05:44

La grande illusion, pas la grande évasion ... halalalalala. Pardon Renoir.
Bon, ben,, du coup, la prochaine fois, un triptique sur Renoir.

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 10 août 2020 11:06

Bon, quelqu'un m'a dit : " Et le cinema français dans tout ça ? "
Pas de problème, on va s'intéresser aux grands : Carne, Duvivier, Renoir, Ophuls, Clouzot, Chabrol, plein d'autres.
Et puis, un jour, je parlerais de Melville et de Baby Driver... mais il me manque la bonne musique.

Allez, penchons-nous un peu sur le grand renoir.

Renoir et la comédie sociale : La règle du jeu

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Le chef d'oeuvre ultime, le film le plus cité, l'essence du film choral, beaucoup de gens ont dit du bien de ce film et ... je vais devoir mettre un bémol. Avangt qu'on m'accuse d'être chauvin, je ne suis pas un grand fan de cette intrigue de boulevard et ce portrait d'une bourgeoisie décadente aux portes de la guerre n'a pas su m'émerveiller autant que les autres. En effet, tout film de Renoir repose sur deux points récurrents : l'étude de personnages et, en sous texte, un discours politique qui, ici, a pris un coup de vieux.

Cela reste un exemple de l'insouciance des années après la première guerre mondiale et une belle mise en perspective d'une société aveuglée par l'oisiveté. Renoir sait ne jamais placer son intrigue d'un point de vue moral et laisser apparaître cette humanité universelle que j'évoquais dans ma vignette sur Forest Gump. Bien saisi, les personnages de Renoir sonnent vrais et la liberté des acteurs permet de vraiment les laisser exister, via une mise en scène discrète et efficace.

Donc j'aime beaucoup La Règle du Jeu, malgré ses souucis techniques dans la prise du son... j'aime comme les personnages sont tous vite identifiables via des gimmicks malins. Renoir n'est pas un réalisateur innovant du point de vue technique à la manière d'un Chaplin, mais ses personnages existent et nous entrainent dans la valse de leurs lachetés poour celui-ci.

Renoir, maître du film choral avant Altman... sans nul doute.

La politique, la guerre et l'humanité qui nous lient : La Grande Illusion

https://www.youtube.com/watch?v=GYHAHf4PQOk

J'ai choisis la chanson de Carette pour souligner combien Renoir aime la fidélité à ses collaborateurs... le cinema est encore un artisanat et l'idée de l'existence de "Grands Cinéastes" n'est pas au gout du jour. Il faudra les cahiers plus tard pour faire du réalisateur l'auteur des films... même s'ils ne se generont pas pour taper sur Renoir et le cinema de Grand-Papa... oui, on parlera de la nouvelle vague plus tard, après Melville, promis.

Ici, Renoir nous offre un nouveau film choral, porté par un casting impeccable et une nouvelle fois, des personnages clairement identifiables et attachants. Il sait utiliser son casting à merveille, tant il semble inimaginable de mettre un autre comédien à la place de Fresnay, Gabin ou Von Stronheim. Le film est impeccable, hormis quelques soucis avec la technique et possède une poésie qui renvoie à Chaplin, surtout dans la scène d'évasion de De Boeldieu.

Chez Renoir, l'homme est naturellement bon et c'est la politique qui va l'avilir en l'obligeant à faire des choix autre que la quête du bonheur... c'est ça La Grande Illusion, l'idée que la Politique peut supplanter par ses idéaux nos rêves d'une vie rêvée. Alors, quand Gabin succombe aux charmes d'une famille allemande, on comprend que certains choses sont universels : le besoin des autres, la peur de la solitude, l'amour...

L'exploration de ses thèmes fait de Renoir un grand cinéaste assez proche de Chaplin, car il montre comment l'humain est capable de s'élever au-delà des idéaux nationaux pour devenir universalistes. Une naiveté un peu déroutante et attachante qui fait le charme de ce grand film.

L'homme écrasé par la machine : La bête humaine

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Oh, putain, celui-là, je ne pouvais pas le rater et pensez-donc : Renoir adapte Zola, rien que ça... mais pas juste una adaptation polie comme le Germinal ennuyeux de Berri. non, La Bête humaine, c'est la perte de l'humanité, c'est un Gabin magistral, c'est cette locomotive, cette machine qui asservie l'homme et le détruit en lui faisant lentement perdre l'esprit. Et c'est un putain de chef d'oeuvre, avec un travail de réalisation plutôt avant gardiste et ingénieux.

Si les deux précédents ont exploité l'idée d'une universalité des passions humaines, La Bête Humaine explore la lutte des classes et la fraternité, opposant un personnage de Gabin froid et cruel à l'univers chaleureux des travailleurs du rail. La Lison devient un moyen de contenir le monstre de celui qui peine à retenir ses pulsions meurtrières. La bête Humaine est clairement un prolongement de l'expérience de la guerre et de la mort, ainsi qu'un questionnement passionnant sur la possibilité, malgré ses propres pulsions, de ne pas devenir un monstre.

Un film remarquable, pour un cinéaste qui ne s'arrête pas à ses trois films. Renoir, c'est un incontournable du septième art et le père fondateur du cinema social français, la comédie humaine cher à la littérature du 19ème..

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 19 sept. 2020 12:09

Flash News : Petit changement de format car je viens de découvrir que tout un pan de l'oeuvre de Truffault est sur Netflix. Alors, avant d'en parler, car il viendra après Melville et Baby Driver, j'ai voulu faire un Top 10 de ma Truffe préféré :

1) Le dernier métro
2) La mariée était en noir
3) Les 400 coups
4) La peau douce
5) Baisers Volées
6) La Nuit Américaine
7) Jules et Jim (et ses putains d'arrêt sur image...)
8) Tirez sur le Pianiste
9) L'enfant Sauvage
10) La femme d'à côté.

Truffault, c'est un cinéaste de la touche, limite expressionniste... et c'est vachement bien...

Quoi, Godart aussi est sur Netflix ? J'en reparle bientôt.

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Re: Le cinema de grand papa

Message par Nicknackpadiwak » 21 sept. 2020 08:58

Il y a les Demy aussi.

Et pas Les Deux Anglaises et le Continent dans ta liste? Tu ne l'as pas vu ou pas aimé?

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 22 sept. 2020 17:03

Pour Jacques Demy, il y aurait beaucoup à dire, de quoi un double post avec Varda et Jacquot de Nantes en pivot.
Demy est un grand cinéaste original, une anomalie qui prouve que tout n'a pas été fait loin de là.
Chazelle me fait un peu le même effet, même s'il n'a pas la force et la conviction de Demy dans la force créatrice.
Pour moi, Demy est à rapprocher de Vidor, Kubrick, Leone ou Bresson : des auteurs qui maitrisent leur vocabulaire et construisent leur cinéma comme une langue cohérente.
La politique des auteurs quoi... putain, il faut que je finisse ce post sur Melville et sur Baby Driver...

Je n'ai pas vu Les deux Anglaises et le Continent, j'ai bien l'intention de le rattraper plus tard. Pour le moment, je rattrape Hitchcock, mais logique, je fais Truffault et Losey derrière... et le film avec Tony Danza de Koss ... dans quelques semaines.

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Re: Le cinema de grand papa

Message par chevrere » 23 oct. 2020 17:40

Jean-Pierre Melville... chaque fois qu'on me parle de grand cinema français, c'est le premier nom qui me vient à l'esprit, peut être car il est le point indiscutable de tout cinéphile devant le cinema français. Et aussi, car à la manière de Stanley Kubrick ou Joseph Losey, il est un des cinéastes les plus reconnaissable entre mille... un film de Melville, c'est une oeuvre géométrique, carré, maîtrisé de bout en bout, précise et rigoureuse. Mais si tout le monde connait Stanley, peu cite Jean-Pierre Melville... étrange, car ils sont tous les deux des moteurs du cinema de genre, un cinema rigide et froid en apparence, mais généreux et riche en substance.

Le samourai de Jean-Pierre Melville : la force des parti pris
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Pffff... si seulement c'était facile de parler de Melville... alors direct le Samourai, un des plus grand chef d'oeuvre du cinema français, un des polars les plus maîtrisé, minimaliste et dense à la fois... par où commencer.

Melville est un fan du mythe américain et il embrasse totalement le cinema de genre et ses références, à savoir ici le film noir, le polar ténébreux porté par un Alain Delon absolument remarquable. Le film est beau et il possède cette structure quasi géométrique qui fait le charme de Melville et se retrouve en particulier chez les Wachowski. Tout est épuré, le script ne contient que l'essentiel, et pourtant le plus important y est, à savoir la force de conviction d'un auteur qui multiplie les parti pris esthétique et sait parfaitement où il va.
Melville aimait à faire du cinema populaire, mais en refusant toute compromission sur ses intentions d'auteur... car oui, Jean-Pierre est un auteur, un de ces cinéastes au caractère fort qui porte le film, le contrôle et sait tirer le meilleur de ceux qui viennent participer à ces oeuvres. Le film est un fourre-tout de référence, mais sans aucun clin d'oeil, lorgnant vers Ford, Kurosawa et un sens du style et de l'épure qui évoque Ford, plaçant les personnages et leur mystère au centre du récit.
Alors que dire du Samourai... c'est un film puissant, un film mystérieux, une oeuvre si marquante qu'elle inspirera John Woo dans tout son début de carrière avec surtout The Killer. C'est un film que je regarde chaque année avec la surprise de ne jamais me lasser... c'est froid et clinique certes, mais cette épure rend parfaitement hommage à la culture de l'estampe qui a beaucoup marqué Melville. Là où Carné est le cinéaste du cinéma comme un rêve, Melville est un auteur quasi réaliste qui cherche à faire exister ses personnages dans un cadre réaliste pour les rendre encore plus iconique et mémorable.
Bref, le samourai, c'est vraiment génial.

L'armée des ombres : le silence et la fureur

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Et que voulez-vous que je dise sur celui-ci... serieux, je vais devooir reprendre encore les mêmes compliments, me recevoir les mêmes reproches mode Altair sur mon vocabulaire restreint... peut-être, mais comme Melville, je l'assume totalement. Allez, quand faut y aller...

Melville est un ancien résistant, il a connu l'importance du silence alors qu'il opérait sur une France occupée par l'armée Nazi et il ne s'est jamais montré particulièrement bavard sur sa propre existence. Ce film est le plus dense, le plus personnel, celui qui m'a causé le plus de frissons par son réalisme froid et cru, un film qui s'impose comme incontournable sur cette époque avec le Corbeau de Clouzot... quoi, j'ai pas parlé de Clouzot... ok, je note, Clouzot... on y vient, on y vient, mais aprés Marcel Carné et Jacques Tourneur.

Melville poursuit sa recherche de l'épure, mais il va d'abord s'entourer d'un des castings les plus incroyables qui soit : Lino Ventura, Simone Signoret, Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel... ok, donc niveau interprétation, pas de soucis, c'est du très très lourd. Mais encore une fois, rien n'est laissé au hasard, afin de faire ressentir et exister ce monde sans espoir particulier à Melville, un univers où les silences disent bien plus que les paroles. Melville a digéré le cinéma muet et il sait que l'image, le design sonore, et les respirations sont les éléments de tension du cinema et les utilisent à merveille. Le but n'est pas élitiste, juste d'être cohérent avec un parti esthétique simple : rien n'est romancé, rien n'est enrobé, tout est sec, osseux, et réduit à une élégance simple et quasi universel.

Alors, je dois reconnaitre qu'il est difficile de juger un tel film monstre, car tout est si personnel et la patte de Melville si présente qu'on sait que le moindre élément de mise en scène, le moindre choix a été voulu par son auteur. Au final, on reste pantois devant la densité d'une telle oeuvre, le sentiment d'être écrasé par un monument du septième art que je n'ai que rarement ressenti, jouant au niveau de Metropolis, Apocalypse Now, Rouge ou Il était une fois en Amérique.

Leone et Melville, deux cinéastes qui se ressemblent bien plus qu'il n'y parait au final.

Leon Morin prêtre : le silence de Dieu et les idéaux politiques

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Bon, on reprend les classiques du style Melville : un casting en béton (Riva, Belmondo), un style épuré et maîtrisé, une gestion des silences toujours impeccable, une photographie soignée. Et encore une fois, un film incontournable qui pose Melville comme une figure de proue de la Nouvelle Vague, mouvement du cinéma français qui cherche à casser les codes et à se rapprocher d'un cinéma américain où le style du cinéaste est plus marqué (et en même temps, à Hollywood, il y a Hitchcock, Hawks, Cukor et Kubrick... ça va comme source d'influence).

J'ai choisit ce film pour sortir du cadre du polar, du film de genre comme l'excellent Doulos, et parler de la capacité remarquable de Melville à travailler le cadre pour faire ressentir les pulsions et passions de ses personnages. Une utilisation du cadre familière au fan d'Hitchcock, mais jusqu'ici peu implanté en France où seul Duvivier délaisse le style "théatre filmé" hérité de Jean Feuillade (oui, je sais, Vigo aussi, mais il est mort trop jeune, un seul film ne suffit pas). Il est donc question de politique, de foi, de la guerre et des connséquences de celle-ci sur des personnages qui se font petit à petit submerger par leurs propres émotions.

Un film fort qui sonne juste, un film moins austère qui laisse un peu mieux paraitre le regard de Melville sur les êtres humains, cynique sans être nihiliste comme Kubrick, mais conscient de leurs propres failles et de leur impossibilité à atteindre la rédeption comme chez Leone... bon, ben, prochain post chez Sergio Leone... je prends un harmonica, un Klaus Kinski avec une boîte à musique et je me prépare... mais d'abord, je vais rajouter un hors sujet sur Baby Driver... et oui, je fais ce que je veux.

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Re: Le cinema de grand papa

Message par Nicknackpadiwak » 28 nov. 2020 15:06

Le cycle Antoine Doinel de Truffaut

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On commence avec les Quatre Cents Coups, film en noir et blanc avec un Jean Pierre Léaud âgé de 12 ans et c'est un vrai chef d'œuvre. Il n'y a pas vraiment de scénario à proprement parlé, on suit Antoine à l'école qu'il déteste et les bêtises (qui sont relativement sages, vues d’aujourd’hui) qu'il fait pour échapper à son quotidien où il ne trouve pas sa place, notamment eu sein de sa famille à cause de la relation conflictuelle qu’il a avec ses parents, surtout sa mère. Pour raconter ça, Truffaut adopte un format proche d'un documentaire, cela convient totalement au film et il s'en dégage un sentiment de total liberté, en contradiction avec le cinéma de papa à la française combattu par Truffaut et leurs tournages en décors de studio et la façon très théâtrale qu'avaient les acteurs de jouer. Les deux plus belles du film sont d’ailleurs celles où la fiction disparaît totalement pour des moments pris sur le vif donc ce moment où Antoine va à la fête foraine et se retrouve dans un manège à sensation et surtout l'interview de l'enfant face caméra par une psy (JP Léaud y est vraiment époustouflant). Le film réussit aussi très bien à nous refaire revivre dans les années 50 et l'immersion dans cette époque ancienne est fascinante. D'ailleurs, involontairement, le film rappelle à tous les nostalgiques de l’éducation à l'ancienne, avec le prof comme figure de l'autorité incontesté et des élèves qui filaient droits, que cette éducation se faisait surtout sur humiliation et le dénigrement et n'était surement pas un terreau au gain de l’estime de soi et qui en plus n’empêchait pas certains gamins d’être exclus de ce monde et se réfugier dans la délinquance. Donc, le "avant c'était mieux", les coups de règles sur les doigts, bonnet d’âne et uniformes, c'était tout de même hyper violent et traumatisant. Bref...
Antoine Doinel pour sa première apparition est vraiment touchant, il est un gamin en grande souffrance ne cesse de fuir monde dans lequel il ne trouve pas sa place. Dans ce film, on comprend que cette fuite en avant est désespérée car un moment donné, il y aura toujours la mer (magnifique dernière scène) ou autre chose qui nous empêchera de courir indéfiniment.
En conclusion, sous ces allures légères, les 400 coups cache un vrai mal être et une grande mélancolie (d’autant qu’il semblerait qu’il soit largement inspiré de la jeunesse de Truffaut) et est un film simple et efficace, qui touche au cœur.

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Antoine Doinel revient dans Baiser Volées et la couleur a désormais fait son apparition. Antoine a grandi, il possède encore des attitudes timides et empruntés, mais la transformation commence. S’il ne court plus, il a toujours autant de difficultés à se poser, enchainant les boulots et les conquêtes féminines. Baiser Volés est un film léger, voire très léger, plaisamment désuet, qu’on suit de manière amusée, même si parfois l’humour est un peu vieillot (la scène où le cocu découvre sa femme dans la chambre d’hôtel) et qui souffre de quelques longueurs dans sa dernière partie. Mais surtout, le film pâtît un peu de la comparaison avec le précédent. Après la claque du premier, celui-ci parait manquer de consistance. Le mieux pour l’apprécier est de le voir comme une transition pour le film suivant, deuxième chef d’œuvre de la saga.

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C’est formel, dans ce Domicile Conjugal, Antoine Doinel a été phagocyté par Jean-Pierre Leaud et c’est lui (et Claude Jade) qui font tout le sel de ce troisième volet, vraiment très bon. Une nouvelle fois, le film n’a pas vraiment de plan scénaristique très précis, et on badine à suivre Antoine qui a laissé tomber sa timidité pour une forme d’arrogance un peu égoïste avec un coté précieux et bavard. Ça pourrait être irritant, mais c’est au contraire fascinant. D’autant qu’en face de lui, Claude Jade, belle comme le jour, brille de mille feux et est un parfait contrepoids aux divagations d’Antoine.
Mais surtout au-delà des histoires du couple Antoine et Christine, couple qui dérive lentement, Domicile Conjugal peut être vu comme un voyage dans le temps, une plongée dans les années 70, celle des premiers téléphones à fil, celle des habits en col roulés, celle où on boit du pinard le midi chez les beaux-parents, celle de Pompidou, celle où on prête tranquille 3000 francs à une connaissance, celle où on trouve et change de boulot en claquant des doigts, celle d’une France 100% blanche et où les étrangers sont une minorité invisible, celle où ça cacane sur le voisin, celle où on avait le droit de toucher les seins de sa secrétaire pour « rigoler », celle où on balançait des « elle, je la baiserais mal, mais je la baiserais bien ». Dans ce monde, JP Léaud (pardon Antoine, mais peut-on encore différencier l’acteur de sa créature ?) est le Roi, il avance sûr de lui, n’écoutant que ses envies et parlant beaucoup. Son couple avec Christine fonctionne à merveille (du moins avant la trahison et la séparation), ils sont beaux, ils sont cultivés, ils sont modernes (enfin, le moderne de 1970), ils vont certainement voter Giscard dans 4 ans (même si, dans le film, Antoine confesse se désintéresser de la politique, ce à quoi lui répond une prostituée le très vrai « si tu ne t’intéresses pas à la politique, attention car elle, elle s’intéressera à toi »).
Bref Domicile Conjugal est un vrai ravissement, un bonbon succulemment démodé.

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Le souci du 4ème volet aka L’Amour en Fuite est qu’il est composé à quasiment un tiers de flasbacks des 3 films précédents et du moyen-métrage Antoine et Colette, pas disponible sur Netflix et qui se passe entre le 1er et 2ème film. Si cela a pu faire plaisir aux fans lors de la sortie en cinéma, l’effet n’est pas génial quand on enchaine les films, d’autant que, à part celle du baiser inversé de Baiser volé où cette fois, c’est Christine qui embrasse en premier Antoine et qui est probablement un outake du deuxième film, Truffaut n’en fait rien, il se contente de caviarder stérilement son film d’extraits passés, sorte de clip-show avant l’heure. Sinon, la partie vraiment film est sympa et Colette est un sacré personnage, mais on ressort du film avec l’impression que le film ne sert qu’à boucler l’épopée d’Antoine Doinel (on reparle tout de même de sa mère), plus que de vouloir créer un nouveau chapitre. Et si Claude Jade est malheureusement un peu plus retrait, heureusement JP Leaud assure toujours le spectacle et c’est principalement pour lui qu’on reste jusqu’au bout des aventures d’Antoine Doinel, avec qui j’ai fait un chouette voyage dans le passé.

OmarKhayyam
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Re: Le cinema de grand papa

Message par OmarKhayyam » 08 févr. 2021 23:47

Bon, dans le genre "grand papa", y'a celui qui a sa carte au parti depuis 70 ans et ne loupe aucune fête de l'Huma ... Parlons donc un petit peu URSS et cinéma soviétique! Ça va être un peu court, car j'ai du mal à mettre les mots sur ce que j'aime, mais tant pis!

Quand passent les cigognes

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J'ai adoré Soy Cuba. Et je ne m'attendais pas forcément à l'aimer autant celui-là ... Mais pourtant! On a là un film qui m'a fait beaucoup de bien!

Tatiana Samoïlova est déjà franchement impressionnante, et la caméra lui apporte en plus une force et une sensibilité qui m'ont complètement ébranlé. Mais ce qui est d'autant plus dingue ici c'est que du coup la réal' de Kalatozov (toujours parfaite) et le jeu des acteurs font ressortir quelque chose de très très humain et universel dans une histoire qui est pourtant peut-être très classique.


L'Homme à la caméra

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La mise en abyme est vertigineuse, et l'expérience de Vertov complètement déconcertante. (C'est en fait un film qui se veut un peu sans mise en récit, sans théâtralité, sans rien). Mais je me suis donc retrouvé quelque peu envoûté par le montage et la magie qui ressort de la juxtaposition des images et des plans. Et alors même que je galère à retrouver du sens dans ma vie, Vertov m'a, je ne sais comment, ouvert de nouvelles perspectives.

Et c'est un film qui là-aussi m'a fait pas mal de bien.

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